Alors que Carat Capital étend sa présence à l'international en s'installant à Bruxelles et au Luxembourg, Sandrine Genet, sa présidente cofondatrice, revient sur les particularités et les enjeux liés à l'internationalisation dans le domaine de la gestion de patrimoine.

Comment l'internationalisation affecte-t-elle les questions patrimoniales de vos clients ?

Sandrine Genet. Depuis plusieurs années maintenant, nous constatons une tendance exponentielle à l'internationalisation de la vie de nos clients. Ce phénomène peut sans doute s’expliquer en partie par l’essor des études à l'étranger qui suscitent des envies de s’installer à l’étranger et créent une interconnexion entre les pays. L’extranéité peut s’inviter dans les sujets familiaux tels que des mariages transnationaux, l'installation d’enfants à l’étranger pendant leurs études, l’acquisition d’une maison dans une île méditerranéenne, un projet de retraite à l’étranger ou pour des raisons professionnelles, de l’expatriation au développement de l’entreprise dans de nouveaux pays. Ces raisons, qu'elles soient familiales ou professionnelles, ont un impact significatif sur les questions patrimoniales. L’international est donc un paramètre à prendre en compte à part entière dans la sécurisation de l’avenir de nos clients.

Quel bilan dressez-vous concernant cette internationalisation ?

Tout d’abord, d’un point de vue patrimonial, les frontières ne sont finalement plus qu'une simple notion géographique : nos clients ne se sentent plus limités et adoptent une vision mondiale de leur patrimoine. Nous accompagnons par exemple des entrepreneurs qui cherchent à implanter leur entreprise à l'étranger, avec notamment des cas de développement au Royaume-Uni et aux États-Unis. Certains clients souhaitent investir dans des pays parfois lointains : au Portugal, au Brésil ou en Thaïlande par exemple. Par ailleurs, ces sujets internationaux ont un impact considérable sur la gestion globale de leur patrimoine.

"Ces sujets internationaux ont un impact considérable sur la gestion globale de leur patrimoine"

Que ce soit pour des raisons civiles ou pour des raisons fiscales et successorales, ces enjeux peuvent devenir très complexes, surtout lorsqu'il s'agit d'expatriation. Dans ce contexte, nous constatons que nos clients prennent souvent des décisions de départ à l’étranger sans avoir étudié tous les impacts. Ils ont souvent réfléchi à l’impact de leur départ sur la fiscalité de leurs revenus professionnels, mais oublient souvent des sujets de revenus ou plus-values immobilières, et de succession. Les conventions bilatérales sur les successions sont beaucoup moins nombreuses que celles sur les revenus, avec un coût lié à une double taxation éventuelle qui peut être prohibitif. Nous avons conseillé à ce sujet un client entrepreneur parti vivre aux Pays-Bas, et dont la taxation marginale d’une succession pouvait s’élever à plus de 80 %.

Et en ce qui concerne la législation ?

On vient de le voir, les régimes matrimoniaux, le traitement des successions et la fiscalité varient d'un pays à l'autre, ce qui peut entraîner des conséquences importantes pour les personnes concernées. On peut citer par exemple des sujets de reconnaissance du mariage pour les couples de même sexe, ou des différences de traitement en cas de divorce. Certains clients choisissent même de déposer leur demande de divorce dans le pays le plus favorable à leur situation, créant ainsi des situations inattendues. En matière de succession, les règles peuvent varier considérablement d'un pays à l'autre, entraînant des conséquences aussi bien civiles que fiscales que nos clients n’imaginent pas alors qu’ils abordent ces sujets avec un point de vue purement français. Notre rôle est d'aider nos clients à anticiper ces impacts et à être bien informés des différentes options qui s’offrent à eux.

Y a-t-il d’autres problématiques patrimoniales soulevées par l'expatriation ?

Outre les considérations fiscales et successorales, les questions relatives à la rémunération des dirigeants, à la cession d'entreprise et aux revenus peuvent avoir des implications fiscales importantes. En ce qui concerne la retraite, il existe de nombreux dispositifs européens qui permettent de consolider les droits acquis dans différents pays, mais qui peuvent se compliquer lorsqu'il s'agit de pays n'ayant pas de conventions.

"Certains outils de planification patrimoniale qui fonctionnent très bien en France, peuvent poser des problèmes à l'étranger"

Enfin, certains outils de planification patrimoniale qui fonctionnent très bien en France, tels que l'assurance-vie, le démembrement ou les sociétés civiles, peuvent poser des problèmes à l'étranger, en particulier aux États-Unis, où l'assurance-vie est considérée comme une "boîte noire". Il est donc primordial de prendre en compte les spécificités de chaque pays et de proposer un accompagnement adapté en anticipant les évolutions futures.

De quelle manière l’internationalisation impacte-t-elle le métier ?

Tout d’abord elle implique le développement de nouvelles compétences en droit international privé et en fiscalité. La compréhension des mécanismes de loi applicable, et de renvois entre les paysest essentielle. La maîtrise de l’anglais est également essentielle. Les jeunes diplômés, et les moins jeunes, doivent pouvoir travailler dans un contexte international avec des conseils souvent anglophones, pour accompagner leurs clients dans leurs projets à l’international. Au-delà des compétences, la constitution d’un réseau interprofessionnel solide, en France et à l’étranger, permet d’offrir une expertise complète à ses clients. Enfin, parfois, l'ouverture de bureaux à l'étranger permet d'élargir le champ d'expertise et d'accompagner de façon encore plus opérationnelle les clients au-delà des frontières. Toutefois, cette approche n'est pas sans difficulté car le métier n'a pas la même réalité partout, et chaque pays possède des spécificités réglementaires complexes.

Un mouvement de concentration peut ainsi être attendu…

Effectivement, malgré ces défis, on peut imaginer que la notion franco-française de territoire va rapidement être dépassée, et que pour bien accompagner les clients, il faudra avoir la capacité de les suivre partout où ils investissent, sans limites géographiques. Cela impliquera éventuellement un mouvement de concentration et de rapprochement avec des confrères dans des pays qui ont des liens avec la France, comme l'Espagne, l'Italie, le Portugal, la Belgique, le Royaume-Uni ou la Suisse. En effet, ces pays figurent régulièrement dans le patrimoine des clients et nécessitent une expertise particulière, car leur vision de la gestion de patrimoine est souvent différente de la nôtre