La hausse des taux est-elle derrière nous ? Comment adapter les portefeuilles au vu de la situation macroéconomique ? Une récession est-elle à l’ordre du jour ? Éclairage avec Alexandre Attal, directeur de la gestion Multi-Assets et directeur exécutif au sein de la société de gestion Russell Investments France.

 

Décideurs. Quelle est votre vue macro ?
 
Alexandre Attal. Un premier trimestre globalement positif pour les places boursières mondiales malgré un contexte économique agité, avec la poursuite de la baisse de l’inflation, le redémarrage progressif des marchés et le ralentissement économique modéré, que ce soit aux États-Unis ou en Europe. Par ailleurs, après l’abandon de la politique « zéro Covid », la croissance chinoise a vivement rebondi sur les trois premiers mois de l’année, permettant d’assurer un début de relais de croissance mondiale.

 

"Le secteur bancaire reste sous pression et les craintes ne sont pas totalement dissipées"

Dès la fin de l’année 2022, nous étions plutôt surpondérés sur les actifs risqués au sein de nos portefeuilles, avec un renforcement du crédit Investment grade dès le mois de décembre. Nous avions ainsi repositionné nos portefeuilles, anticipant une certaine normalisation des marchés. Néanmoins, suite à la faillite de la banque SVB au mois de mars et un regain de volatilité associé, le secteur bancaire reste sous pression et les craintes ne sont pas totalement dissipées. Finalement, le marché semble bien résister et reste globalement optimiste.

 
Est-on arrivé à la fin de la hausse taux ?
 

En matière de cycle économique, nous observons une inflation en repli progressif, mais il demeure de nombreuses hésitations autour du niveau de taux terminal qui sera décidé par les banques centrales. L’impact de la récession économique à venir pourrait créer de l’incertitude sur le deuxième semestre, en raison du resserrement des conditions de prêts des banques, des difficultés du secteur immobilier et plus globalement par le calendrier encore incertain de la politique monétaire de la Fed quant à une potentielle baisse des taux. Pour autant, nous restons modérément « risk-on » dans nos portefeuilles. Les publications de résultats au premier trimestre ont illustré là-encore une nette solidité des principaux acteurs économiques et n’induisent pas d’inquiétude majeure en matière de ralentissement économique à venir.

Si la Fed n’augmente plus, voire baisse, les taux, est-ce un soutien pour le marché ?
 

Pour le savoir, il faut se demander quelle serait la motivation de la Fed de baisser les taux. Est-ce pour contrer une chute brutale de l’économie ? Ou est-ce pour accompagner la baisse attendue de l’inflation ? Dans le premier cas, le marché action pourrait être chahuté à cause du ralentissement économique impliquant une baisse de la consommation et une augmentation du chômage. Une baisse des taux pourrait alors, certes profiter à certains secteurs, mais être néanmoins source d’inquiétude sur la santé de l’économie américaine et par extension mondiale.

"La baisse des taux pourrait ainsi avoir des impacts opposés sur les marchés en fonction de son origine"

Néanmoins le marché ne s’attend pas à une forte récession. Si, en revanche, la Fed baisse les taux en accord avec une inflation en baisse continue et progressive, le « soft landing économique » aura été réussi par la Fed et le marché en profitera. La baisse des taux pourrait ainsi avoir des impacts opposés sur les marchés en fonction de son origine.

Quelle est votre allocation globale sur 2023 ?
 

Nos portefeuilles sont légèrement surpondérés sur les actions. Nous sommes cependant vigilants sur les niveaux, et gérons de façon tactique et dynamique les positions en utilisant par exemple des produits dérivés, pour tenir compte des mouvements de stop-and-go du marché et de la nervosité des investisseurs. Notre allocation stratégique reste constructive car nous estimons peu probable une récession américaine violente. L’inflation énergétique a par ailleurs beaucoup reflué.

"2023 permet à nouveau de retrouver les bienfaits d’une gestion diversifiée en matière de primes de risques"

En toile de fond, le redémarrage de l’économie chinoise permettra d’amortir la baisse de l’économie mondiale. Des stratégies crédit et de duration permettent d’autre part d’aller chercher du rendement. Nous détenons également de l’or dans nos portefeuilles, qui a pleinement joué son rôle de valeur refuge durant les périodes d’incertitude. Plus globalement, il est intéressant de constater que 2023 permet à nouveau de retrouver les bienfaits d’une gestion diversifiée en matière de primes de risques.

Quels secteurs et géographies privilégiez-vous sur les actions ?
 

Nous avons une vision positive sur les marchés européens et émergents, aidés par la réouverture de la Chine. Nous sommes neutres sur le marché américain. Un soft landing favoriserait en effet les valeurs de croissance et en particulier technologiques. Nous restons par ailleurs prudents sur le Japon et avons allégés les valeurs britanniques qui avaient bien résisté en 2022, notamment dans le secteur de l’énergie. En accord avec notre vision « risk-on », nous avons un biais sur les secteurs industriels et financiers, qui, selon nous, disposent encore de potentiel.

Quels sont les principaux risques à surveiller ?
 
Nous surveillons en premier lieu le secteur immobilier aux États-Unis et les conditions de crédits. Si l’on regarde la chaîne de transmission d’un stress bancaire, celui-ci se propage à la fois par les petites et moyennes valeurs, dépendantes du marché bancaire pour financer leur développement. Un trop fort durcissement des conditions d’attribution des prêts bancaires déplacerait le curseur d’une récession modérée vers une récession plus sévère.

 

Attention aux banques centrales qui voudraient être plus "royalistes que le roi" 

En ce qui concerne la guerre en Ukraine, son impact a déjà été intégré. Le cygne noir annoncé ne s’est pas produit. Les relais de diversification ont été implémentés pour ce qui est de l’approvisionnement énergétique et de la dépendance aux produits agricoles. Enfin, attention aux banques centrales qui voudraient être plus « royalistes que le roi » en effectuant la hausse de trop, qui serait nuisible pour l’économie.