Après plus de dix ans de politiques monétaires ultra-accommodantes couronnées par une mise sous perfusion totale de l’économie au plus fort de la crise sanitaire, le réveil provoqué par la hausse des taux aura été brutal. Retour sur un épisode économique inédit et ses conséquences en matière d’investissement et de stratégie patrimoniale. 
Dans le monde de la gestion d’actifs, 2022 restera dans les mémoires comme la pire année du fameux portefeuille équilibré 60-40 depuis 1930. La surchauffe de l’économie, provoquée par le rebond post-covid et aggravée par un conflit armé aux portes de l’Europe aura eu raison de l’optimisme qui régnait sur les marchés en 2021.
Les banquiers centraux, d’abord aveuglés par l’illusion d’une inflation temporaire, ont finalement dû se résigner à prendre un virage qu’ils ne souhaitaient pas emprunter. Une décision tardive et brutale : des taux directeurs en hausse de 5 points sur un an pour la FED, et 3.75 points sur 3 trimestres pour la BCE. Un niveau inconnu depuis 2008, et un ajustement d’une violence inédite avec des effets immédiats : krack obligataire, explosion des bulles de la tech et des cryptoactifs, fin du TINA1, fragilisation du système bancaire, etc.
Si la résilience du marché de l’emploi dans les pays développés laisse espérer un soft landing de l’économie avec toutefois un risque de récession technique2 , le cycle de hausse de taux que nous traversons nécessite une forte prise de recul afin d’adapter les stratégies patrimoniales et d’investissement utilisées jusqu’à présent, et ce dans chaque classe d’actif. Nous pensons aujourd’hui que la fin du cycle de resserrement monétaire est proche, avec encore une voire deux hausses de 0.25% d’ici la fin de l’été, aussi bien pour la FED que pour la BCE. La hausse des salaires qui laissait craindre une inflation de second tour en début d’année semble ralentir et nous nous dirigeons donc vers une normalisation de la situation.
 
Une hausse des marchés actions en trompe-l’oeil
Sur les marchés financiers, le fort rebond observé au cours des premières semaines de l’année aura surpris la plupart des gérants. Dans le détail, on observe surtout d’importants écarts de performance entre les valeurs. Sur le S&P 500, ce sont par exemple 7 valeurs3 qui génèrent 90% de la performance de l’indice, les mêmes qui tirent le NASDAQ 100 à plus de 35% de hausse depuis le début de l’année. La baisse des cours de l’an dernier est donc loin d’être compensée par ce début d’année en trompe-l’oeil. En Europe, et en France notamment, les valeurs du luxe profitent du redémarrage de la Chine, même si celui-ci est plus poussif qu’anticipé, et tire les indices qui profitent également d’un retour des flux après avoir été boudés par les investisseurs en 2022.

 

La gestion du risque redevient primordiale dans ce contexte

Pour autant, ce nouvel environnement de taux créé de nombreuses opportunités. La première étant naturellement le retour en force des obligations. Après plus de 10 ans de taux zéro et même négatif (plus de 25% des obligations mondiales avaient un rendement négatif entre 2016 et 2017), la hausse des taux a permis un retour à la normale de notre point de vue. Comme pour beaucoup, c’est plutôt la vitesse avec laquelle les taux sont remontés qui a surpris. Cela permet néanmoins aujourd’hui de rééquilibrer certains portefeuilles tout en abaissant de manière significative le risque, et même d’investir dans des portefeuilles 100% obligataires. Ce mouvement est d’autant plus intéressant pour les familles endettées à taux fixe. Concernant les investisseurs endettés à taux variable, le passage de l’Euribor 3 mois4 de -0.5% en mars 2022 à 3.5% aujourd’hui a sensiblement modifié la donne en matière de crédit lombard et rend d’autant plus complexe l’équilibrage entre les engagements long terme et les contraintes de trésorerie court terme. Parallèlement à cette forte hausse des échéances de crédit, la gestion de la LTV redevient également primordiale : la hausse des taux, couplée à la difficile année 2022 a ainsi fait augmenter le risque d’appel de marge sur les portefeuilles mis en garantie.
 
Le Private Equity également sous pression
Le secteur du Private Equity n’échappe pas non plus au défi posé par ce nouvel environnement de taux. Il est vrai que les niveaux de valorisation étaient particulièrement (trop ?) élevés ces dernières années, surtout sur certains secteurs. Les taux bas permettaient en effet de financer la quasi-totalité des dossiers et les investisseurs recherchaient en priorité ces investissements (particulièrement le capital-investissement), pour leurs rendements élevés et parce qu’ils les considéraient, à tort, comme décorrélés des marchés financiers. L’atterrissage risque d’être compliqué pour beaucoup. Les fonds de LBO sont évidemment les premières victimes, et la faillite annoncée de Envision, participation de KKR acquise pour 5.5 Mds de dollars en 2018, n’est que la face émergée d’un iceberg dont nous ne mesurons pas encore l’étendue. Là encore, cette situation est vectrice d’opportunités à notre sens, notamment sur le secondaire. Même si nous ne sommes qu’au début de ce mouvement, de plus en plus de dossiers en souffrance sont proposés avec des décotes dépassant parfois les 50%. 

 

La situation actuelle va offrir des opportunités dans les prochains mois

Au niveau macroéconomique, la hausse des taux est aussi une mauvaise nouvelle pour les États qui avaient déjà vu leur dette exploser au cours de la crise sanitaire, souvent même bien au-delà de 100% de leur PIB5. L’impact de la crise grecque à l’époque, dont le PIB représentait seulement 1% du PIB européen, laisse présager des conséquences que pourraient avoir des craintes liées à la capacité des États à rembourser leurs dettes.
Enfin, il est sans doute encore un peu trop tôt pour regarder le marché immobilier qui entre quant à lui dans une importante zone de turbulences. La baisse n’est pas franchement actée avec certains secteurs qui font mieux que résister à la hausse des taux. Nous pensons notamment à l’immobilier de luxe où la hausse du dollar a incité les investisseurs américains à acheter en nombre en Europe et notamment à Paris. Nous observons toutefois depuis plusieurs mois une diminution du nombre de transactions, mais le réajustement des prix est encore modéré du fait de l’inertie de ce marché et devrait se poursuive avec la contraction généralisée des crédits. Aux États-Unis, on surveille particulièrement le secteur de l’immobilier de bureaux, qui souffre d’importants taux de vacances depuis la crise sanitaire et l’avènement du télétravail et dont le refinancement interroge : 2'500 Mds de dollars arrivent à échéance dans les 5 prochaines années alors que les taux ont plus que doublé. Une situation d’autant plus préoccupante quand on connaît la prépondérance des prêts hypothécaires dans les bilans des banques américaines, pourtant déjà fragilisés par la hausse des taux. 

Sur les auteurs
Thomas Chéreau et Matthieu Panhard ont cofondé avec Maxime Boudal et Hugo Limonne le multi family office Pulse. Issus de la gestion d’actifs et de la gestion privée, ils supervisent les investissements des clients sur les quatre grandes classes d’actifs : cotés, non cotés, immobilier et non traditionnels. Maxime et Hugo sont, eux, en charge du suivi juridique et fiscal des clients.

1 TINA : « There Is No Alternative ». Acronyme pointant l’absence d’alternative aux actions en période de taux 0
2 Récession technique : contraction du PIB, même mineure, deux trimestres d’affilée
3 Valeurs : Meta, Amazon, Apple, Microsoft, Google, Tesla, Nvidia
4 Euribor 3 mois : Euro Interbank Offered Rate. Taux d’intérêt auquel une sélection de banques européennes se prêtent des fonds libellés en euros et dont les emprunts ont une échéance de 3 mois
5 Dette Zone Euro : 92% du PIB (France : 112%) – Dette États-Unis : 129% du PIB