Au croisement des métiers, le rôle des conseillers en gestion de patrimoine est de plus en plus reconnu auprès des épargnants français. Entre inflation et hausse des taux directeurs, nombreux sont les Français à se tourner vers leur conseil, tiers de confiance, pour répondre à leurs interrogations sur un marché en plein mouvement. Pour Décideurs, Philippe Loizelet, président de l’ANCDGP fait le point.
P. Loizelet (ANCDGP) : "La standardisation du métier de CGP sera la grande tendance de l’année"
Décideurs. Notez-vous des évolutions réglementaires notoires en 2022 ?
Philippe Loizelet. La mise en place de la réforme du courtage avec un surplus de réglementation et de formalisme pour les intermédiaires d’opérations de banque et en assurance a perturbé nos métiers pendant un moment. Nous avons mené un recours constitutionnel ainsi qu’un recours préjudiciel en cours auprès du Conseil d’État. Si le Conseil constitutionnel a considéré que les atteintes aux libertés fondamentales n’étaient pas disproportionnées par rapport à l’objectif annoncé de protection du consommateur, c’est principalement parce que le gouvernement, dans sa plaidoirie, a fortement réduit le pouvoir des associations. Un système de co-régulation était annoncé et nous nous retrouvons avec une redondance administrative, coûteuse et sans renforcement probant de la protection du consommateur.
Quel était l’objectif initial de la réforme de courtage ?
Les motifs de la loi annonçaient un renfort de la protection des consommateurs par un meilleur encadrement des intervenants en Libre Prestation de Services (LPS), un accompagnement, par l’’adhésion obligatoire à des associations, de tous les professionnels dans l’application de la réglementation à venir et le renforcement de la connaissance des acteurs par l’autorité de contrôle. Dans la réalité, les intervenants en LPS ne sont pas concernés, l’ensemble des intermédiaires n’est pas visé (les agents généraux en sont exclus), et les associations, à peine créées, ont été court-circuitées par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) qui a contacté tous les intermédiaires pour leur soumettre un questionnaire sur leurs différentes pratiques professionnelles. Concrètement, nous allons effectuer de nombreuses nouvelles tâches administratives qui permettront à l’ACPR de renforcer les contraintes et contrôles en les automatisant. En d’autres termes, cela fait des associations des supplétifs. Pour exemple, l’ACPR pourra directement échanger et confier des missions aux personnels des associations agréées, chargés de la collecte d’informations, sans en référer à leurs employeurs que sont les, les dirigeants élus. Je ne vous cache pas ma surprise, étant moi-même employeur, d’imaginer comment maintenir un lien de subordination de mes employés, si leurs consignes, leur organisation du temps de travail et leurs tâches se trouvent téléguidées en totale confidentialité par un tiers. De là à conclure que la motivation de la loi n’était pas celle annoncée dans les textes…
À quoi s’attendre en 2023 ?
Alors que nos métiers sont de conseiller et accompagner nos clients, la réglementation n’a de cesse de renforcer nos process administratifs tout le long de nos prestations, sans jamais favoriser notre autonomie d’exercice auprès des fournisseurs. Or, c’est bien notre autonomie envers les fournisseurs qui est recherchée par nos clients qui veulent être accompagnés. Nous nous félicitons d’ailleurs des actions de l’Union des intermédiaires de crédit (UIC) visant à forcer, y compris judiciairement, les établissements bancaires à reconnaître le mandat du client, conformément à la loi et ne plus conditionner l’étude d’une demande de financement à la signature d’un partenariat. Or, nous avons le même combat pour le courtage en assurance.
C’est-à-dire ?
Bien que mandaté par un client, un courtier ne peut pas accéder aux contrats d’une compagnie d’assurances, si celle-ci n’a pas décidé, de façon discrétionnaire, d’ouvrir préalablement un code de courtage à cet intermédiaire. Concrètement, le courtier ne peut travailler pour le compte d’un client qu’à l’aune des conventions délivrées par les compagnies, et à cette heure, on nous explique que cette pratique ne doit pas avoir d’influence sur la qualité et l’autonomie dans la délivrance du conseil pour le seul intérêt des clients. Avec la victoire de l’UIC, le grand pas réalisé en matière de crédit va pouvoir se répéter en matière d’assurance. Dernier chantier pour 2023, la suite des travaux européens sur l’abandon des rétrocommissions, à la seule initiative du fournisseur, qui est tend vers l’interdiction pure et simple des commissions, y compris en cas d’accord avec le client). Selon nous, la transparence devrait être mise en lumière plus que les méthodes de rémunération, car nous restreindre à l’honoraire induit une distorsion de concurrence puisque les honoraires seront, contrairement aux commissions, assujettis à la TVA, et pas directement déduits des revenus ou plus-values de nos clients dans l’assiette de calcul du PFU et des prélèvements sociaux retenus par les compagnies.
Le contexte économique actuel constitue-t-il un obstacle à la bonne exécution du métier de conseil ?
Le premier effet de l’inflation et de la situation est une remise en cause de l’ensemble des valorisations des actifs. Certaines actions ont chuté mais le marché se rééquilibre. La phase deux sera l’immobilier. Nous allons connaître un tassement sur ce secteur et les investisseurs vont rechercher des rendements beaucoup plus élevés. À cela s’ajoute l’accès au crédit beaucoup plus complexe avec des conséquences pour la liquidité des biens et leur valorisation. En découlera un choix plus sélectif des actifs, d'autant que la taxe foncière va peser de plus en plus lourdement sur la rentabilité de l'immobilier, comme les mesures de transition écologique. De ce fait, les conseils vont être amenés à revoir les stratégies des clients pour atteindre leurs objectifs afin de les garder en adéquation avec le retour de l’inflation, les risques géopolitiques, environnementaux…
Quels produits sont à privilégier ?
Dans cette phase de plus grande agilité, nous avons tendance à privilégier le marché actions : il permet de se positionner rapidement à l'achat comme à la vente pour un coût de transaction faible, en assurant une diversification géographique, sectorielle… avec une fiscalité actuelle plutôt maîtrisée.
Propos recueillis par Marine Fleury