L’IA a une influence galopante sur le monde du travail.  De nombreux professionnels des ressources humaines utilisent les technologies pour recruter et fidéliser les talents. Si les bonnes pratiques semblent majoritaires, de nombreux risques planent au-dessus des utilisateurs.

La sortie de ChatGPT a entraîné dans son sillage une prise de conscience. L’IA est bel et bien parmi nous et, depuis un certain temps, ses usages sont multiples et parfois bluffants. La plupart des métiers sont touchés par le phénomène et appelés pour beaucoup à se transformer. Un domaine n’échappe pas à la règle : les ressources humaines. Selon une étude LinkedIn, 61 % des professionnels des RH utilisent l’IA dans leurs tâches quotidiennes. En outre, un quart des entreprises européennes ont déjà recouru à un algorithme pour recruter en 2023, d’après une étude menée par la banque d’affaires Littler. Quels sont les usages au quotidien ? Quels sont les avantages et les risques à utiliser l’intelligence artificielle dans un métier où les relations entre personnes s’avèrent si primordiales ? Éléments de réponse.

Gain de temps

Comme dans tous les domaines, le numérique est d’abord utilisé pour les missions les plus simples ou les plus répétitives. "Les outils d’IA permettent à nos consultants de gagner du temps en automatisant un certain nombre de tâches et ainsi d’en consacrer davantage à celles qui ont une plus forte valeur ajoutée, notamment consacrer du temps à conseiller nos talents", explique Gwenaël Perrot, CEO du cabinet RH Lincoln.

Rédaction de fiches de poste ou de questionnaires, facilitation du sourcing de candidats, réduction du temps passé à analyser les CV… Les usages sont multiples. "Depuis dix ans environ, les organisations les plus matures, souvent les grands groupes, font travailler des algorithmes sur les volets prédictifs, qui restent les domaines où l’IA est la plus avancée, explique Jean-Baptiste Annat, associé chez Eurogroup Consulting. Je pense notamment à tout ce qui touche à l’absentéisme. Les RH alimentent les IA de données afin de faire ressortir des tendances. Cela permet d’anticiper davantage les absences et de mieux accompagner les personnes sujettes à l’absentéisme." Ces outils ne seraient donc rien sans une politique RH adaptée et surtout éthique.

Rédacteur de qualité

Sujet moins épineux : la rédaction de fiches de poste pour laquelle l’IA se montre extrêmement performante. "Elles peuvent être très bien rédigées et très spécifiques en trois minutes", commente Boris Jottreau, le CEO de la plateforme d’avantages salariés May. Les cabinets de chasse de têtes ne sont pas en reste : "Nous utilisons ChatGPT et ses équivalents. L’IA facilite la rédaction de contenus qualitatifs (relus et revus par la suite néanmoins)", précise Gwenaël Perrot. Mais, là encore, pas de place pour l’improvisation : "Nous avons formé tous nos consultants à ChatGPT. Nous n’avons pas envie d’avoir des apprentis sorciers", ajoute le CEO de Lincoln.

"Nous avons formé tous nos consultants à ChatGPT. Nous n’avons pas envie d’avoir des apprentis sorciers"

L’IA permet également de mieux sourcer les talents et de faire le tri dans les CV. "Nous recevons beaucoup de candidatures, ce qui rend parfois difficile de distinguer les bonnes des moins pertinentes. Nous disposons d’une IA en interne qui analyse les textes et fait remonter les plus appropriées", souligne Boris Jottreau qui est à l’origine d’un livre blanc sur le futur au travail au-delà de l’IA. Lincoln a également créé son propre outil pour cette tâche qui fait partie du quotidien des chasseurs de têtes : "En 2021, nous avons lancé un projet stratégique de recherche et développement axé sur un algorithme de machine learning, conçu pour optimiser continuellement ses performances. En intégrant des critères préalables, cela nous permet d'identifier rapidement les talents de notre réseau."

Des robots, oui mais pas partout

Les agents conversationnels se développent également au sein des sociétés. Ils se montrent précieux pour répondre aux questions assez classiques que les employés peuvent se poser sur leur paie, leurs droits ou encore la pose de congés. "Beaucoup d’entreprises en ont. Ce n’est pas inintéressant car cela offre aux collaborateurs un accès facile à l’information du quotidien, note Jean-Baptiste Annat. Ces chatbots ne sont pas révolutionnaires mais ils permettent aux équipes RH d’allouer leur temps à d’autres tâches à plus forte valeur ajoutée."

En revanche, l’usage de l’IA pour faire passer des entretiens ne semble pas faire l’unanimité chez les candidats à la recherche de véritables contacts humains mais aussi parce qu’ils craignent de ne pas pouvoir développer le lien émotionnel si précieux lorsque l’on souhaite savoir si un patron ou une entreprise peut nous convenir.

Biais cognitifs

L’utilisation de l’IA n’est effectivement pas sans dangers sur de nombreux points. Parmi eux, celui que l’on appelle le risque de clonage. Une étude menée par la Harvard Business School aux États-Unis, en Grande-Bretagne et en Allemagne met en avant le fait que les profils atypiques se retrouvent exclus des sélections à cause des filtres automatiques.

"En matière de sélection de CV, l'IA peut analyser efficacement de vastes quantités de données pour identifier les candidats correspondant aux critères requis, note Jérémy Lamri, entrepreneur et chercheur spécialisé dans le développement de l’employabilité et du potentiel humain. Pourtant, ce système est nécessairement biaisé : d’une part, les algorithmes tendent à reproduire des biais discriminatoires présents dans les données d’entraînement, qui sont souvent les données de recrutement du passé, loin d’être exemplaires. D’autre part, il n’existe pas de bonne pratique universelle d’analyse d’un CV : retenir le nom de l’école, du dernier employeur, du nombre d’années d’expérience ? Toutes ces informations ne sont pas capables de prédire la performance future d’un collaborateur, et biaisent donc le processus."

"L’IA va permettre aux collaborateurs de se focaliser sur ce qui est propre à l’être humain, comme la créativité, la relation à l’autre ou l’intuition"

Preuve par l’exemple : en 2014, Amazon confiait à un algorithme les CV qu’il recevait pour les noter de 1 à 5. Dès l’année suivante, le groupe s’est rendu compte que le système classait les candidats aux postes techniques - comme le développement de logiciels - de manière sexiste car il s’appuyait sur les CV reçus pendant dix ans par le géant du e-commerce. La plupart étant ceux d’hommes, puisque leurs profils prédominent dans le monde de la tech, les femmes se retrouvaient de facto pénalisées.

À l’inverse, Gwenaël Perrot constate qu’une IA bien entraînée peut éviter les a priori humains : "La machine est dirigée par l’homme. Nous avons tous des biais cognitifs. En travaillant sur une IA qui les évite, nous gagnons en objectivité." Jérémy Lamri propose de tourner le problème autrement. Par exemple, dans le cas de la sélection de CV, admettons qu’une IA en choisisse 10 sur 1 000. Cela fait 990 CV laissés de côté. Nous pourrions imaginer une autre IA, opérant selon des critères différents, qui identifierait des pépites cachées parmi les candidats ou en repêcherait.

Importance de la source

Autre écueil à éviter : travailler à partir de données biaisées. "L’IA que nous appliquons est basée sur nos propres données. Nous ne prenons pas le risque de travailler sur de la data corrompue", insiste le CEO de Lincoln. D’ailleurs, les outils qui permettent de repérer des talents à partir de toutes les données présentes sur le web ne semblent pas encore très efficaces, justement parce que la data n’est pas toujours fiable ou complète.

Mais de tous les points d’attention, c’est l’aspect réglementaire qui devrait prévaloir, selon Jean-Baptiste Annat. "Les éléments comme la paie, le recrutement ou l’évaluation pourraient être considérés comme trop sensibles pour être intégrés dans des IA", martèle-t-il. Une nécessité qu’a bien en tête le patron de May : "Il faut des algorithmes propriétaires afin de s’assurer que les données ne sortent pas de chez soi."

Tout dépend donc de ce que les RH et les développeurs avec qui elles travaillent en feront. Certaines problématiques sont déjà bien connues depuis l’utilisation massive des Facebook et autres X (ex-Twitter). "L’IA peut générer des contenus qui nous plaisent et finissent pas nous enfermer dans des ‘boucles’, comme les réseaux sociaux", alerte Boris Jottreau. En produisant un contenu qui suscite chez nous des réactions positives, les algorithmes renforcent notre engagement et nous poussent à rechercher de plus en plus ce type d’informations. L’éducation va jouer un rôle majeur dans la prévention de ces travers. Les salariés doivent prendre conscience que, lorsqu’ils utilisent des algorithmes dans leur environnement professionnel, faire preuve de recul est constamment nécessaire.   

Compétences de demain

Plus que tout, l’IA touchera de nombreux emplois. Les RH ont dès à présent à charge d’anticiper les compétences qui seront attendues et celles qui ne le seront plus. "L’IA va permettre aux collaborateurs de se focaliser sur ce qui est propre à l’être humain, comme la créativité, la relation à l’autre ou l’intuition", estime Boris Jottreau. Aux RH de suivre le mouvement.

Les métiers des ressources humaines n’ont donc pas vocation à disparaître. En revanche, la clairvoyance doit rester de mise. "L’IA a généré deux potentiels, le premier est libérateur pour l’humain grâce à l’automatisation de certaines tâches. Le deuxième est le risque d’aliénation. Si l’IA n’est ni négative ni positive, ses applications peuvent se révéler néfastes", résume Boris Jottreau. Une conclusion vraie pour tous les métiers quels qu’ils soient.

Olivia Vignaud

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